"Le talent ça n'existe pas. Le talent c'est d'avoir envie de faire quelque chose."Jacques Brel

dimanche 24 mars 2013

Envie d'une madeleine pas comme les autres...


Si je vous parle de la "madeleine" de Proust, pour certains cela évoquera immédiatement un souvenir, pour d'autres, rien du tout...

Hier, en préparant un bon repas, après avoir été au marché, chercher de bons fruits et légumes, j'ai été submergée par une émotion que je n'avais pas vécue depuis longtemps. Je retirais le pédoncule d'une tomate bien belle, bien mûre quand soudain les effluves de cette simple tomate m'ont catapultée plusieurs décennies en arrière, quand petite, je ramassais les "fruits" de notre potager en famille sur l'île de Majorque. 

J'ai aussitôt ressenti la chaleur du soleil de fin d'après-midi, j'ai senti la présence de tous les êtres chers autour de moi qui ne sont plus, avec qui je me sentais si bien, avec qui je plaisantais, je partageais mes histoires de petite fille, j'ai entendu le bruit des clochettes des moutons qui paissaient aux alentours, senti le souffle du vent sur mon visage, vu les paysages verdoyants autour de moi, les couleurs du ciel et me suis rappelée à quel point j'étais heureuse à ce moment-là, tout simplement à ramasser des belles tomates entourée des miens.
 Cet acte, apparemment négligeable - il m'est arrivé pourtant plus d'une fois de manipuler une tomate! - m'a vraiment transportée. Cette simple odeur, la même que les jolies tomates de mon enfance, m'a bouleversée... Revivre ces instants de bonheur en cuisinant, de manière si simple et tellement inattendue, était un vrai plaisir. C'est sûr, je rachèterai ces mêmes tomates... en plus d'avoir réveillé mes souvenirs, elles étaient succulentes!

Je souhaite à tout le monde de se retrouver dans cette situation, de rester attentif aux sensations qui se présentent, de revivre un beau souvenir juste pas le biais d'un parfum,  d'un goût... C'est un moment presque magique qu'on a envie de prolonger.

Je suis heureuse, j'ai trouvé ma "madeleine"... et c'est une tomate!

❝ Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.



Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, 1913.

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